
Quelques pensées à propos du livre magistral d’Ellen Rixford « Figures in the Fourth Dimension », un livre pédagogique, historique et esthétique, qui fera date!!! Un livre-oeuvre récemment paru.
Pour ceux qui veulent commander le livre:
www.figuresinthefourthdimension.com
ou par email ellenrixford@netscape.net
L’imaginaire du mouvement, l’imaginaire de la matière devenu mouvement, la sculpture a toujours tenté de résoudre le paradoxe de la matière dans la matière. Le mythe de Prométhée a largement déterminé le geste démiurgique de la création ou est-ce tout simplement le mythe du démiurge qui raconte la métamorphose de la glaise par le souffle qui lui donne vie. La statuaire animée est à l’origine des premières cérémonies et expériences théâtrales. La fascination du mouvement et du geste rejoint la fascination de l’autonomie et du libre-arbitre. L’homme a toujours rêvé de créer. Les cérémonies et les expériences théâtrales de statue mobile ont nourri les croyances de quelque chose d’autre qui nous échappe mais dont les hommes seraient des médiums.
Du mythe indien de Shiva et de son épouse Parvati qui donnent vie à des statues ou des statues mobiles du fameux dialogue du Ménon de Platon ou à l’inverse du vivant humain transformé en statue de sel, l’homme a toujours cherché à créer (du mouvement). Qu’il soit illusion ou fiction, le paradoxe nourrit la matière dans la propension à être que matière. Les statues peuvent-elles bouger ? Les images bougent devant nos yeux par les ombres au fond d’une caverne comme dans une salle de spectacle. L’illusion joue des tours. Notre équipement cognitif et mental nous déterminerait-il autant que nous serions les jouets ou même les marionnettes de nos « petites perceptions confuses » (Leibniz). L’imaginaire jouerait-il toujours selon des règles et d’astuces par des mécanismes et un savoir de lois physiques. La quête de la vérité nous rendrait humble et aussi révolutionnaire dans les découvertes qu’une illusion est une illusion et que ce que l’on croyait connaître ne s’avère qu’après-coup un semblant de connaissance et qu’en poussant la réflexion, la déprise serait totale pour une gravitation de nos propres limites.
Le mythe de la marionnette véhicule l’illusion du démiurge et du pantin – l’un et l’autre caractériseraient la pensée de l’homme qui penserait et agirait en fonction de quelque chose qui nous dépasserait. Derrière le mythe de la marionnette et de l’illusion se trouve le mythe de la perfection et de ce qui nous dépasse, un infini que d’aucuns peuvent nommer le Créateur ou le Dieu ou Gaia… le mythe de la perfection est le mythe de ce que nous ne sommes pas, cette négation comme aussi notre propre regard sur nous-mêmes. Gilbert Ryle pensait que tout savoir est toujours et déjà savoir-faire. Et la science nourrit la dimension pratique et concrète de notre connaissance au monde. Les théories sont elles-mêmes imparfaites et toujours en dédoublement de la réalité, même si elles fonctionnent. Alors comment ça marche et qu’est-ce qui nous pousse à faire, à construire et à créer ?
Quelque chose survient. Tous les plus grands empiristes, matérialistes et pragmatistes qui pensent pouvoir tout expliquer dans les réductions scientifiques sont confrontés à la question de l’art. L’art ne serait-il que le résidu ou le succédané, comme serait toute intention et toute conscience à partir de la matière. Le plaisir de créer un automate dépasserait toute explication mécanique. Mais c’est là que le travail de Madame Rixford interpelle. Même les plus grands logiciens, comme Nelson Goodman, se sont interrogés sur ce que voulaient dire une qualité seconde, comme la couleur, et non pas les qualités premières (la taille, la grandeur, la profondeur, etc. – les fameuses trois dimensions). Les qualités secondes, ou dites qualia, provoquent la pensée de quelque chose d’autre dans notre rapport au monde. Et c’est bien là que tout se joue et que l’imaginaire joue – et que même la création artistique s’invente. Une « survenance » ou une « écume ». Le double ne serait jamais une copie. Une marionnette ne serait jamais un petit homme, un automate ne serait jamais qu’une mécanique et un « robot » ne serait jamais qu’une copie du vivant. Le dédoublement ne serait jamais copie mais création et non pas « création seconde » selon un modèle qui serait le vivant ou l’homme.
Un marionnettiste comme Philip Huber tend à s’échapper du mouvement par le mouvement. Joseph Cashore pousse à l’excès la recherche du mouvement par le mouvement pour nous montrer même le mouvement, un redoublement réaliste qui ne le sera jamais – héritier plus du mythe du créateur que du mythe de l’imaginaire, mais le dédoublement ne sera jamais dédoublement – un moment ou un autre, le dédoublement invente le dédoublement. L’école réaliste nourrit toujours plus le paradoxe et le jugement négatif des détracteurs de l’imaginaire de la marionnette à fils. La multiplication des fils ou les mécanismes ne peuvent pas totalement expliquer le mouvement qui s’émancipe, même si la marionnette ou l’automate copie un modèle. La stylisation reprendra toujours ses droits et provoquera toujours l’illusion ou cette fameuse « survenance » du geste, qui ne peut être uniquement expliqués par des conditions préalables. L’intention échappe. L’art « écume » dans le geste : un automate n’est pas un robot, mais l’est déjà. Une marionnette n’est pas un automate, mais l’est déjà. L’homme n’est pas une marionnette, mais l’est déjà… Et la création artistique se joue dans le renversement, dans la réalité et l’illusion de ce renversement. Le double n’est jamais copie, il est « survenance ».

Dimitri Jageneau
Directeur artistique
Théatre Royal du Peruchet
Musée International de la Marionnette, Bruxelles